Fin des temps. 6 - JE VEUX PARLER A DIEU OU JE FAIS GREVE!
Publié le
30 janvier 2018
, mis à jour le
22 mars 2018
Par
Muriel Max
Isabelle, Zabou pour ses proches, était une femme d'une cinquantaine d'années, pétillante, d'un caractère volontaire et souvent empreinte d'un humour ravageur.
D'ordinaire.
Seulement ces derniers temps, son optimisme habituel s'était comme évanoui, happé dans des idées sombres qu'elle ne pouvait chasser malgré tous ses efforts.
Tout semblait lui échapper ; son travail, sa famille, ses amis, les gens dans la rue, la société, le monde même !
Chaque matin était devenu un défi, un challenge même où elle devait chercher une raison, une seule petite raison pour se lever. Faire un premier pas, puis un deuxième, pour se traîner lamentablement vers la salle de bain, afin de trouver un peu de motivation sous la longue douche brûlante qu'elle s'imposait.
En vain.
"Le monde devient fou ! Se répétait-elle le soir après une longue journée où chaque geste était devenu une véritable torture.
La constatation était évidente : le monde s'était métamorphosé et s'était revêtu de bien tristes couleurs. Tout avait changé, lentement et inexorablement.
Le modernisme effréné n'avait engendré que détresse et mal-être, la technologie qu'elle affectionnait tant hier, lui apparaissait aujourd'hui comme un cancer sournois qui ne rapprochait pas mais séparait ses semblables dans un univers virtuel, coupés de toute réalité.
Parce qu'il existait une réalité tout autre, une réalité que le monde refusait de voir, comme captif d'une puissance médiatique omniprésente, subjective, pernicieuse, exacerbant les sens, en tout lieu et à tout instant. Cette force audiovisuelle absorbait dans ses tentacules redoutables l'attention et finissait par aveugler l'esprit...
Et le cœur.
C'est lors du dernier Noël que tout avait vraiment basculé.
Durant ces fameuses fêtes de fin d'année, avec la course folle aux jouets si onéreux, Isabelle avait ressenti non pas de la joie, mais de la tristesse. En regardant attentivement les enfants, elle n'avait pas eu l'impression d'y voir dans leurs regards ce bonheur tout simple qu'on pourrait espérer.
Non, elle avait plutôt perçu de la convoitise et une sorte, déjà, de désillusion souvent accompagnée de pleurs et d'énervement.
Cela l'avait ramenée à son enfance où Noël était le reflet de tables joliment ornées et bien garnies de mets délicieux dont le fumet mettait en joie ! Une fête particulière où les ainés se racontaient avec toujours cette bonne humeur qui enchantaient les enfants...et ça suffisait à les rendre heureux.
Aujourd'hui, cette abondance de présents était un leurre. Un leurre qui coutait chère et n'apportait qu'une joie éphémère et vite oubliée.
Elle avait tenté de se ressaisir, de se raisonner même et s'était mise à chercher du réconfort dans toutes sortes de choses à la "mode"!
Elle avait lu des livres de pensées "positives", fait de la relaxation, du yoga, des techniques de" visualisation mentale", des massages relaxants sur musique zen : ça n'avait pas fonctionné, sur elle en tout cas!
Puis elle s'était intéressée à l’hindouiste, au chamanisme, aux extraterrestres, aux dès, aux cartes, et bien d'autres "bizarreries" qui lui avait plutôt mise la tête à l'envers !
Néanmoins, Isabelle ne s'était pas avouée vaincue et, avec obstination avait continué sa quête.
Dans l’Église Catholique pour commencer.
Hélas, elle ne ressentait rien face à cette avalanche de dogmes et de rites. La multitude de "Saints" dont on vantait la foi sans faille, lui avait renvoyé une image d'elle tristement pitoyable. Elle eut la sensation qu'il lui faudrait toute une vie pour laver tous ses "péchés", et encore !
Toutefois, ce qui l'avait le plus attristé, c'était cette impression indéniable que ces gens se disant "chrétiens" n'en portaient désormais que le nom, à part quelques exceptions.
Elle était allée, alors, voir du côté des "témoins de Jéhovah".
L'ordre y régnait, l'ordre et la discipline. Mais là pas d'existence d'âme à l'horizon, ni de paradis, puisque le monde devait retrouver, après une désolation mondiale meurtrière, sa beauté d'origine avec tous les gentils ressuscités et ceux qui auront survécus à cette grande "tribulation".
Mais qui étaient ces gentils ? Seulement ceux qui auront crus en Jéhovah et suivis les préceptes de leurs dirigeants...quant aux autres, tant pis pour eux !
Puis, un jour, sur le marché, elle avait rencontré une jeune femme, d'une douceur et d'une sérénité hors du commun, qui lui avait parlé de "Krishna".
Après l'avoir encouragé à lire "l'âge de fer" où la civilisation subissait des dérives comme jamais auparavant durant cette ère, Isabelle prit le temps de comprendre et de s'imprégner de cette "croyance" nouvelle.
Bien que certains faits s'avéraient véritables, le nombre de demi-dieux, de déesses, de mondes parallèles, à travers des cycles où le temps se comptait en milliards d'années lui avait donné le tournis !
Alors un matin, excédée et déçue, elle prit une décision. Si un Dieu existait, dominant un univers spirituel, subtil et immatériel, où l'amour est roi et notre demeure éternelle, elle voulait en avoir la certitude !
Et pour cela, il n'y avait qu'une seule façon de le savoir : parler avec Celui qui en était le concepteur : Dieu !
Elle ferait donc la grève de la faim !
Ses proches, ses amis avaient été abasourdis et elle entendait encore les différentes objections qu'ils n'avaient pas cessé d'émettre.
"Tu délires ou quoi ?! Tu es fatiguée, c'est tout....un peu de repos et puis voilà ! Prends des vacances, fait une retraite, et....... patati et patata !
Après tout, il y avait eu des gens qui avaient fait la grève de la faim pour toutes sortes de raisons, non ?
La sienne était différente, c'est tout.
Étrange, certes, mais, oh combien justifiable !
Et vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous rendra libres Jean.8.22
Les premiers jours furent difficiles et Isabelle fut tentée plus d'une fois. L'odeur de nourriture semblait planer partout, à tous les coins de rue : une vraie séduction culinaire s'était comme liguée contre elle, pour l'éprouver à chaque instant !
La faim commençait vraiment à la tarauder.
Et ses pensées ! Des pensées où elle négociait, cherchaient des excuses, se justifiait même. Pour un morceau de pain, une petite salade, un morceau de chocolat, juste une bouchée.....que de combats pour ne pas céder !
Puis le cinquième jour de son jeûne, elle s'éveilla étonnamment bien. Il était tôt, la nuit n'était pas encore achevée, et pourtant, Isabelle se sentait en pleine forme. Et agréablement sereine.
Elle décida, malgré le froid, d'aller marcher. La nature paraissait différente, comme si elle voulait la charmer. Le parfum des arbres et de l'herbe l'enivraient presque, et Isabelle percevait les murmures de la nature comme une douce invite....ou un joyeux salut !
La vie à travers cette planète si époustouflante de diversités, n'avait jamais cesser d'émouvoir à travers sa beauté renouvelée au gré des saisons, et dont elle révélait ses secrets selon les terres où elle s'épanouissait.
C'est ce jour-là qu'Isabelle rencontra Willy.
Assis sur l'herbe, la tête levée vers le ciel, Willy attendait l'aube. Grand, mince, le visage illuminé d'un sourire rappelant celui d'un enfant, l'homme était comme "ailleurs", concentré sur les premiers rayons de soleil qui doucement faisaient fuir les ombres de la nuit.
"Hé bonjour !"
Isabelle avait sursauté.
"Heu....bonjour" avait-elle répondu un peu méfiante.
"C'est beau, non ?! Vous avez vu le pélican, là ? Il nettoie ses plumes, il vient de loin celui-là !
Et c'était vrai, il y avait bien un immense pélican blanc, magnifique, sur la berge de l'étang où ses pas l'avaient menée (elle avait donc marché si loin?!). Indifférent, l'oiseau lissait ses plumes avec un soin particulier.
"Il a dû s'égarer, celui-là, parce que, en général les pélicans sont avec les cigognes - ne me demandez pas pourquoi. Et en plus ils ont une sacrée route à faire, ils vont au sud-est de l'Afrique, c'est peu dire !"
Isabelle avait souri. Puis naturellement, elle s'était assise à côté de cet inconnu, sans vraiment savoir pourquoi. Elle se sentait bien, c'est tout.
Ils étaient restés, là, un long moment, silencieux à regarder l'oiseau imposant faire sa toilette, dans l'aurore naissant.
Puis ils avaient parlé, enfin, lui surtout.
De lui, de sa vie de "voyageur"...et d'elle, surtout. Elle, c'était la femme de sa vie, celle qu'il n'avait pas cessé d'aimer, même au-delà de la mort qui l'avait arrachée de ses bras un matin.
Elle s'appelait Sophie. Ensemble, ils avaient parcouru un "sacré" bout de chemin, comme il disait, jusqu'à ce fameux jour où son existence avait basculé, une existence qui en avait perdu toute sa saveur.
Ils avaient des rêves, des rêves qu'ils voulaient réaliser ensemble, et qui n'avaient plus de sens pour lui à présent.
"Alors, j'ai tout lâché ! Appartement, boulot, amis, tout ! A quoi bon ? Travailler pour quoi? Pour qui ? La vie, je devais la vivre avec elle... pas sans elle !
C'était comme ça qu'il était devenu un "vagabond" ou plutôt un "nomade". Le mot nomade semblait être plus juste pour Willy, Cela signifiait "voyager" pour lui et non errer. Parce qu'il n'errait pas, non ! Il voyageait et parcourait le monde, à sa façon.
Il ne buvait jamais, ne fumait pas, et s'arrangeait toujours pour être propre.
"Parce qu'elle n'aimerait pas, vous comprenez ? Je ne voudrais pas lui faire honte, ni dans ce monde, ni dans celui de l'autre "rive", là où elle est à présent. Oh, non ! Elle voudrait pas, non......
Il y avait tellement d'amour dans son regard, tellement de tristesse aussi....mais une tristesse comme apaisée.
C'était un inépuisable conteur ! La nature semblait ne plus avoir de secrets pour lui : Intarissable, le Willy !
Au fil du temps, Isabelle avait senti la chaleur du soleil sur ses épaules, et observait la lumière jouer sur l'eau dont les reflets scintillaient tels des diamants.
"J'ai du pain, un peu de beurre, du miel, et du café....ça te dirait? avait murmuré Willy, le regard toujours rivé sur le pélican.
Elle avait souri, puis avait secoué la tête avec regret.
'J'aimerais bien....mais je ne peux pas. Et puis où as-tu toute cette nourriture ?
- Oh, je suis magicien ! Ou comme Jésus, je fais des miracles ! avait-il dit avec un sourire malicieux.
Plus sérieusement, il lui expliqua qu'il avait une petite tente, cachée dans un coin secret, une petite tente très très vieille, vestige de son ancienne vie.
- Pourquoi tu ne peux pas manger? Tu veux maigrir ?
Isabelle avait éclaté de rire, cet homme était décidément d'une innocence désarmante!
"Non, c'est juste que je...jeûne, j'en ai besoin" Elle n'avait pas trouvé les mots, peur d'être un peu ridicule sans doute.
- Tu jeûnes ? Et tu jeûnes pourquoi ?
Isabelle avait hésité à répondre: comment expliquer sa quête désespérée de sonder un monde qu'elle ne comprenait plus ? Et encore plus, en cessant de s'alimenter! Une folie au regard de la plupart !
Mais ce ne fut pas le cas de Willy.
Il l'écouta attentivement, nullement étonné, et même avec une certaine...approbation.
Encouragée par l'attitude bienveillante de cet homme qu'elle connaissait à peine pourtant, Isabelle ouvrit son cœur.
Elle parla de l'absurdité de cette société où les lois dorénavant avaient un goût amer d'injustice et de violence. Violence faite aux plus faibles, aux enfants, aux familles. Et puis cette incompréhension de ce monde-dortoir en préparation où nos faits et gestes étaient tracés à chaque instant, de l'aberrance aussi de ces engouements pour le superficiel et la vie des célébrités qui semblait plus intéressante (ou plus excitante?) que celle de son voisin !
Elle parla aussi des guerres où l'effroyable est commis, dans une indifférence étonnante des élites Européens parce qu'ils n'y ont pas d'intérêts ou seulement à travers les armes qu'ils vendent à prix d'or. Notre pays n'était-il pas le 3ème pays vendant le plus de ces engins de mort ?! Et les saccages faites à la terre? A la nature? Aux animaux ? A la planète entière !
"Comment en sommes-nous arrivés là, Willy ?!"
Isabelle était essoufflée et la fatigue commençait à se faire sentir.
Willy était resté un long moment silencieux, le regard un peu perdu, avec un drôle de sourire sur les lèvres.
"Les questions que tu te poses, ce sont les mêmes que je me posais il y a des années. Je ne me les pose plus. J'ai eu quelques réponses, et aujourd'hui : je sais.
Isabelle ne s'attendait pas à cela. Il n'y avait nulle ironie ou malice dans sa voix et le regard de Willy sur elle, était empreint de compassion. L'atmosphère autour d'eux avait changé, comme si....ils n'étaient plus seuls. Quelle étrange sensation ! Et néanmoins agréable et réconfortante.
"Tu es fatiguée Isabelle, je le sens. Va te reposer.
Willy avait raison, elle se sentait exténuée.
Avant de s'éloigner, Isabelle l'avait regardé, mais n'avait pu prononcer une seule parole. C'était inutile, il avait compris.
"J'aime bien cet endroit, surtout à l'aube quand la nature s'éveille doucement, elle regorge de surprises ! Je serais là, demain Isabelle mais.....le pélican, je ne suis pas sûr !" Avait-il dit en riant.
Comme une réponse, l'oiseau majestueux s'élança tout à coup, déployant ses grandes ailes qui en effleurèrent l'eau : il s'éleva alors dans la luminosité du jour vers une destination lointaine.
Willy disait vrai. Il serait encore là demain.
Ainsi que les jours suivants.
Et ce qu'il allait lui révéler changerait son existence et....celle d'après. Pour toujours.
A suivre...
* Le quinquennat Hollande a vu les livraisons d’armements français augmenter de près de 45%, à 8,3 milliards d’euros en 2016, selon une étude du ministère de la défense. La France pourrait même dépasser la Russie en 2018.