«Gagnée ou perdue toute guerre se réduit à une défaite de l’homme » Robert Sabatier.
Malgré la révolution industrielle et technologique des deux dernières générations, il me semble que les guerres n’ont pas cessé, elles se sont même amplifiées. Pourtant, ceux qui ont connu la deuxième, celle mondiale, sont loin d’avoir oublié les ravages effroyables qu’elle a engendré.
Les enfants de ces hommes revenus déchirés, peuvent en témoigner. Je fais partie de ceux-là.
Et pourtant....ils avaient rebâti ce pays en ruine avec une volonté de fer et un courage à toutes épreuves, et ce, malgré leurs âmes blessées....et les souvenirs douloureux qui ne cessèrent de les hanter pour la plupart.
Je me souviens de ce père taciturne, le soir, épuisé par un travail harassant, le regard lointain, fumant de fines cigarettes dont la cendre semblait interminable.
Étrangement, j’étais fascinée par cette cendre qui lentement formait à elle seule la cigarette désormais consumée, et qui semblait se figer. Elle ne tombait pas, aussi immobile que mon père, il fallait que ma mère finisse par dire, un peu agacée :
« Max, ta cendre ! »
Sortant de sa rêverie, il la regardait un peu hébété, et sans un mot secouait sa cigarette éteinte, et me souriait.
Puis, il « s’absentait » de nouveau, une nouvelle cigarette allumée. Je l'observais inlassablement, en essayant de comprendre le pourquoi de ces « évasions » pensives. Au fil du temps, j’avais fini par entrevoir l’esprit tourmenté de cet homme que la guerre avait brisé.
Je percevais durant ces soirées où le silence était roi, son esprit agité se battre entre sa colère et sa raison.
J'ai commencé, et ce, dès l'enfance, à discerner non pas les pensées de mon père, mais les émotions qui l’agitaient. Je dirais même plus. J'arrivais à plonger dans les profondeurs de cette "conscience" à travers son aura tourmentée.
Je doute pas un instant, des flash-back où des images d'horreur devaient s'imposer à son esprit, ni les efforts pour y échapper ou les faire taire.
Mon père se débattait dans des combats intérieurs, ces combats qui avaient, toutefois, fait de lui un homme ouvert aux autres.
Je reste persuadée, que beaucoup de ceux qui sont revenus de cet effroyable conflit mondial, l'âme chargée d'infinie tristesse et d'incompréhension ont du affronter des luttes incessantes où le bien et le mal s'entre-choquèrent.
Certains, à travers cette épreuve épouvantable, ont acquis de la sagesse, une véritable maturité et une bienveillance rafraîchissante envers leurs semblables.
Néanmoins, d'autres ont sombré dans des ressentiments amers où la colère était devenue habituelle avec la haine comme récolte au bout du chemin, hélas.
Quoi qu'il en soit, ces bâtisseurs d'avenir sur des terres d'après-guerre saccagées, me paraissent encore aujourd'hui des êtres exceptionnels.
Oh, pas comme ces célébrités qu'on vénèrent de nos jours, au détour d'émissions de télé et dans la lecture de divers journaux qu'ils s’encensent allègrement !
Non....mais des hommes parés d'une force tranquille, d'une humilité impensable pour certains, et imprégnés de savoirs, pour beaucoup, acquis dans l'effroi qu'ils manifestaient en se battant pour une justice et une paix qu'ils voulaient avec ferveur pour les générations à venir.
Mon père était autodidacte, avec une faculté d'apprendre à travers une curiosité qui, pourtant, avait fini par s'éteindre.
Je pense, que si le monde avait été autre, il aurait eu le temps d'ouvrir son esprit à toutes connaissances puisées dans les livres, ou à travers des témoins aux multiples horizons, qu'il aurait rencontrés au gré de ses longues marches qu'il affectionnait particulièrement.
Toutefois, je pense que son âme était revenue déchirée parce qu’elle avait entrevu, à travers une guerre, des hommes qui n'en avaient plus que le nom.
Des âmes comme lui, j'allais en rencontrer souvent durant ma vie.
Et pourtant, il suffisait de ma présence à ses côtés pour que l'amour pare de joie son cœur assombri de bien tristes souvenirs.
Toujours silencieux avec ce regard singulier où scintillait une intense tendresse.
Il est mort brutalement. En pleine force de l'âge. Tout juste "jeune" retraité.
Mais il m'a dit "au revoir", juste un signe, lors d'un rêve stupéfiant qu'une sonnerie à ma porte avait interrompu.... pour m'informer de son décès !
Mais était-ce vraiment un rêve ? Ou bien cette "autre réalité" que je commençais à percevoir et qui imprégnait déjà ma vie dans cette course folle de croire en un Dieu unique, exclusif, merveilleux, exceptionnel ?
Le temps allait m'apporter des réponses.
Et me plonger dans un monde divinement étonnant qui apaiserait mes craintes les plus profondes.